Rencontre avec son lieu de travail

Le changement d’environnement avait été radical. En sortant de l’aéroport, il s’était souvenu avec un brin de nostalgie le soleil rayonnant lors de son départ pour débarquer, ici, avec de la pluie. Jouant des coudes pour récupérer sa valise, il avait manqué plusieurs fois de bousculer des gens. Certains s’étaient encore mépris et l’avaient appelé mademoiselle. Toutefois, une fois, confus de la méprise, ils s’étaient proposés de l’aider. Gentiment mais froidement, le jeune homme avait décliné. La sortie se dessinait devant lui et ses pas s’étaient accélérés comme s’il avait de fuir un lieu hostile. Cependant, il n’était pas au bout de son périple. Dehors, il se retrouva à chercher un abri, l’eau traversant sa veste… S’il avait su, il aurait mis autre chose. Impatient, Shimizu était retourné à l’accueil pour connaître les horaires du bus qui pourrait l’emmener à la prison. L’échange se fit dans un anglais timide et assez approximatif du côté de son interlocuteur. Il finit par comprendre, qu’il devait encore attendre une heure avant de pouvoir prendre le prochain. Une expression déçue se dessina sur son visage… En trainant les pieds, il quitta le guichet sa valise à la suite. Qu’allait-il faire ? Il ne connaissait personne et ne se sentait pas à l’aise dans cet endroit. Le froid commençait à s’emparer de son corps. Ses yeux se posèrent sur un petit café et il jugea que cela ne serait pas superflu. Ô joie, les chiffres se passaient d’une quelconque demande de compréhension. Il suffisait de lire le prix et donner la somme suffisante dans la devise du pays.

Sa commande prise, le jeune homme alla s’asseoir dans un coin pour s’adonner à l’observation des gens. Un groupe d’hommes semblaient être des hommes d’affaire en transit. Ils s’agitaient des téléphones collés à leur oreille, tandis que leurs mains retenaient précieusement des attachés-case contenant sans doute des documents importants. Non loin de lui, un jeune couple affichait un sourire béat songeant peut-être à une future lune de miel… Il songea à cette idée en voyant la bague odieusement chère glissée à l’annulaire de la jeune femme. Un autre duo de jeunes hommes discutaient avec ferveur à propos de leurs activités. Des sacs de voyage étaient à leur pied… Des sacs dans le style baroudeur. Leur vision le fit sourire et il continua ainsi avec toutes les personnes qui passèrent sous son regard. Son examen fini, il jeta un œil à sa montre. Plus que 15 minutes… La prévoyance prévalait toute forme d’attitude et il retourna à l’arrêt du bus. La pluie, quant à elle, n’avait pas cessé, pourquoi l’aurait-elle fait d’ailleurs… Bien sur, Shimizu aurait pu prendre un taxi, mais rien qu’à l’idée de la somme à payer, il avait immédiatement oublié cette option. D’autres personnes finirent par attendre au même endroit que lui. Enfin deux, trois. L’endroit ne devait pas être franchement populaire, mais cela ne lui faisait rien. Pas de curiosité, pas de peur. Il allait pour les besoins de sa thèse… Dans 6 mois, il pourrait repartir chez lui, présenter ses travaux et enfin briguer le poste tant voulu dans le département de la section criminelle.

Le bruit du moteur du bus le tira de sa rêverie. Un homme à l’air bourru était au volant. Il eut un coup d’œil interrogateur à l’adresse de Shimizu, qui lui rendit l’échange par un air suffisant avant de s’installer vers le fond. La fatigue s’ajoutait au froid… Il avait envie de savoir comment de temps durerait le trajet, mais se confronter à une barrière linguistique le découragea… Son regard se concentra alors sur le paysage. Le bus était étrangement silencieux et personne ne voulait engager la conversation avec autrui. Derrière la vitre défilaient des vues, qui lui étaient méconnues. Campagnard, voilà le premier mot qui lui vint à l’esprit. Ce n’était même pas péjoratif, juste une constatation. Il y eut plusieurs et le dernier fut le bon. Alors qu’il descendait, le conducteur lui adressa un petit mot, mais il ne le comprit pas. L’eau céleste glissa lentement dans sa chevelure, la plaquant lentement sur son visage et dans son cou, alors qu’il essayait de passer le manque de compréhension. Il finit par répondre par un simple sourire avant de présenter ses papiers, ainsi que son pass aux gardes. Les portes se refermèrent derrière lui et un soupir s’échappa de ses lèvres. Et maintenant où devait-il aller ?

Son choix fut celui de l’errance. En réalité, il voulait juste trouver un endroit, où il pourrait se poser. Escaliers après escaliers, marches après marches, ses pieds l’amenèrent à la bibliothèque. Enfin c’était ce qu’il y avait de gravé sur un petit écriteau à côté de la porte. Lassé, Shimizu entra. Sa chemise collait contre son torse entretenant la désagréable sensation du tissu mouillé. Ses cheveux n’étaient guère mieux et il semblait les mettre en arrière avec un geste désespéré. Un homme attira son attention. L’air jeune et plutôt frêle apparemment observé par sa lecture, mais pourtant il nota quelque chose qui l’étonna légèrement dans son regard. Une idée sans doute… Appuyant sa valise contre l’un des murs, il partit faire une légère inspection des rayonnages… Rien ne l’intéressa réellement, à vrai dire son obsession du moment était des essais philosophiques liés à la psychologie, et il décida donc d’aller faire une brève connaissance avec celui qui devait garder les lieux. Doucement, Shimizu toqua contre le bureau et un son plaisant sortit de ses lèvres

"- Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais pourriez-vous m’aider…"

Sa tête pencha légèrement sur le côté, ses mèches suivant le mouvement. Il fit un pas en arrière craignant que l’eau ne tombe sur le bureau. Pas vraiment nécessaire d’abimer le matériel des autres. Glissant une main dans la poche de son pantalon, Shimizu en sortit un petit élastique noir dont il se servit pour attacher ses cheveux en queue de cheval, la naissance de la coiffure se trouvant au niveau de son cou. Juste quelques mèches tombaient maintenant sur son visage jouant malicieusement avec contre son peau. L’endroit était assez grand… Il espérait juste que les détenus apprécient la lecture. Un frisson glacé parcourut son corps et il croisa les bras pour masquer cette impression. L’idée de justifier sa demande traversa son esprit. Après tout, il pouvait être n’importe qui. Un membre du personnel, un membre de la famille d’un détenu, bref tout était possible. Un bref soupir et il ajouta

"- Je m’appelle Shimizu Len, je suis le psy, vous êtes le bibliothécaire, n’est-ce pas ?"

Il faillit ajouter que sa présence serait de courte durée, mais il se retint, se martelant de rester concentrer sur l’objectif de sa présence plutôt que sa durée.